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Étude "Faire sa part", 25% ? Vraiment ?

L’étude Faire sa part de Carbone4 a été publiée en juin 2019 et donnerait à voir l’impact des actions individuelles et collectives.

Même si ça n’est pas l’objectif initial des auteurs, cette étude est souvent véhiculée et commentée pour montrer que « quoique je fasse, mes actions n’auront pas plus d’impact que 25% sur mon empreinte carbone ». Face à l’urgence climatique de plus en plus rappelée, ou visible par le nombre de phénomènes extrêmes qui augmentent, notre cerveau ne nous aide pas. Il semble que tout élément qui permette de repousser l’action sur un tiers (son voisin, l’Etat, les entreprises, etc.), dans le temps (plus tard), ou dans l’espace (ailleurs) est bon à prendre. Et cette étude est du pain béni.

Pour rappel, pour respecter l’accord de Paris et garder une planète habitable pour nous, le vivant et les descendants, il faut tout faire pour limiter la hausse de la température en 2100 nettement en dessous de +2°C voire +1,5°C (par rapport à l’ère pré-industrielle 1850-1900). Traduction en émissions de gaz à effet de serre, il faut réduire notre empreinte carbone individuelle de « 11tCO2e à 2tCO2e /an /pers. en 2050 » pour reprendre les chiffres de l’étude (un autre article interroge les chiffres de l’empreinte carbone). L’étude de Carbone 4 Faire sa part cherche à répondre ou donner à voir la part qui serait le fait de changements de comportements individuels et la part restante qui serait le fait d’actions collectives (les autres). Le ratio auquel elle aboutit est 25% (part individuelle) / 75% (part collective). Le chiffre monte à 45% avec des investissements importants (changement de véhicule, isolation, etc.), ce comportement est d’ailleurs qualifié d’engagement personnel « héroïque » !

Nous faisons régulièrement la critique de cette étude dans nos ateliers ou lors de prises de parole et nous l’avons d’ailleurs aussi adressé aux auteurs. Voici les points qui (nous) posent problème :

  • Les auteurs ne publient pas leurs chiffres ni leurs calculs. Les hypothèses citées n’intègrent pas par exemple

– « la baisse de la fréquence des voyages longue distance en voiture particulière n’a pas été considérée »,

– achat de textile seulement divisé par 3 quand B&L Evolution propose une division par 10, le défi « zero waste » vise des achats d’occasion à 90%,

– sur la nourriture : pas de prise en compte d’une alimentation bio, de saison, en partie auto produite,

– rénovation thermique pour arriver entre 50 et 90kwh/m2/an (on sait faire mieux),

– on n’envisage nullement d’agir sur le besoin de transport (changement de domicile ou de travail),

– pas de discussion de réduction de la consommation de tous les autres biens et services.Les expériences personnelles de nombreux membres du collectif RC, sans héroïsme aucun, nous porte à croire que des réductions plus importantes que celles décrites sont possibles. La pandémie a aussi fait bouger des lignes qu’aucun ne voulait considérer avant.

  • Ce n’est pas un travail scientifique revu et relu par des pairs.

  • Jean-Marc Jancovici ne reprend pas les chiffres de cette étude dans ses prises de parole et évoque 50/50 dans son live #8 à la première question (à 2min 50 et 5min 40).

  • Lors d’échanges sur le sujet du climat, il arrive très vite un moment où l’on reporte l’action sur les entreprises, le politique ou les citoyens autre que soi. Le risque est grand de rentrer alors dans le triangle de l’inaction. Pour dépasser ce dilemme du prisonnier, il faut bien démarrer. On a tous à gagner à ce que nous intégrions le changement climatique dans nos modes de vie – et d’autres limites planétaires -, mais le premier qui change se décale par rapport à la norme actuelle. L’action individuelle participe aussi à forger la norme sociale (avec d’autres éléments tels les lois, la publicité, etc.) et par mimétisme, Sapiens Sapiens peut aussi évoluer et changer. Les actions individuelles et collectives s’auto-renforcent. Plus de gens incarnant un comportement sont plus susceptibles de le porter collectivement dans des mesures législatives et des politiques publiques.

  • L’utilisation du terme « héroïque » donne à penser que ce changement est excessif pour les auteurs et qu’ils ne souhaitent pas l’appliquer à leur propre vie.

Résultat, cette étude est largement citée dans les réseaux sociaux comme alibi à l’inaction « vous voyez bien que ça ne sert à rien tant que l’État ne s’y met pas » « au mieux on change 5 à 10 % ». En effet, l’étude met ces chiffres en exergue en p. 3 dans la synthèse des messages clés : « Pour un Français moyen, l’impact probable des changements de comportement individuels pourrait stagner autour de 5 à 10% de baisse de l’empreinte carbone ». Alors que la réduction personnelle possible qui est calculée, -45 % de son empreinte carbone, est laissée bien discrètement dans le texte en fin d’étude… Le travail de fond est intéressant, mais sa présentation et son traitement posent problème.

Comme si la décarbonation de l’économie ne demandera pas d’efforts aux citoyen·ne·s ? Il n’est pas fait mention d’indications sur les moyens techniques, la faisabilité, et la désirabilité de cette décarbonation, comme s’il s’agissait d’un problème purement technique. La Convention Citoyenne pour le Climat a bien montré que des citoyen·ne·s informé·e·s sont prêts à passer à l’action avec des mesures bien plus contraignantes que n’importe quel programme politique des 40 dernières années (limitation de vitesse, interdiction de la publicité, report de vols intérieurs vers le train, etc.) – découvrir leurs 149 propositions finales. Qu’est-ce qui a manqué pour les voir transposées dans la Climat et Résilience ? Des citoyen·ne·s informé·e·s qui tentent de les incarner dans leur vie et soutiennent ces mesures.

Aucune action n’est suffisante face au changement climatique, mais toutes sont nécessaires. Que je ne monte pas dans un avion n’est pas suffisant mais c’est nécessaire pour voir ce secteur changer et réduire ses émissions. Que je me limite dans l’utilisation d’un véhicule ou que je m’invente une vie moins ou non dépendante d’un véhicule, c’est insuffisant, mais nécessaire (d’autant plus avec les contraintes sur l’approvisionnement en pétrole ou les prix du gaz/énergie). Il en est tout autant des actions collectives, que plus de 190 Etats signent l’accord de Paris ou se réunissent tous les ans dans des COPs est insuffisant, mais nécessaire. En effet désormais l’accord de Paris donne des leviers juridiques pour porter devant les tribunaux l’inaction climatique des Etats et des entreprises : mesure nécessaire mais insuffisante, car les émissions de gaz à effet de serre continuent de monter à l’échelle mondiale.

Arrêtons donc de donner des alibis à l’inaction, et démarrons tout en sachant lucidement qu’aucune action ne sera suffisante en elle-même face au changement climatique. Il ne s’agit pas de croire que responsabiliser les individus suffise (actuellement, rien « ne suffit »), mais bien de préparer l’acceptabilité des mesures nécessaires à une division par 6 et plus de nos émissions (comme le précise la loi SNBC – Stratégie Nationale Bas Carbone), en proposant un nouveau paradigme mis à l’épreuve des réalités vécues.