Dossier Technique

Suite à la crise du coronavirus, voici des éléments permettant d’appuyer la proposition de quota sur l’utilisation de l’avion ainsi que la trajectoire pour atteindre la neutralité carbone. (6 mai 2020 – avec quelques mises à jour à la mise en ligne fin juin)

1) Point de situation

2) L’impact climatique de l’aérien

3) Le rationnement individuel

4) D’autres propositions ou réactions


1) Point de situation

Il y a moins de 3 mois :

    • privatisation d’ADP
    • plans d’extensions de terminaux sur le territoire (T4 sur Roissy – qui correspond en nombre de passagers transportés à rajouter Orly à Roissy-CDG ou ici, Nice pour n’en citer que deux)
    • la santé économique du secteur passe avant la santé des humains selon la posture de l’OACI.
    • la priorité économique du secteur avant le climat : vols maintenus même à vide pour conserver les créneaux d’atterrissage.
    • le secteur aérien a sa part de responsabilité dans la propagation des virus. C’est un accélérateur de la diffusion des épidémies.
    • croissance continue du secteur – transenv

Croissance du secteur aérien

    • Le soutien massif à l’aérien se fait contre les avis des scientifiques
Le gouvernement prétend « écouter les scientifiques », pourtant il ne tient pas compte des scientifiques qu’il a lui même nommés pour le conseiller. C’est contre les avis du Haut conseil pour le Climat et de l’ Autorité environnementale qu’il lance un plan de renflouement d’Air France à hauteur de 7 milliards d’euros !

    • Les 21 avril, le Haut conseil pour le Climat (HCC) publie un rapport où il recommande de :

« TRANSFORMER PLUTÔT QUE SAUVEGARDER À TOUT PRIX ET À N’IMPORTE QUEL COÛT
Promouvoir un dialogue transparent sur ce qu’il va être nécessaire de sauvegarder ou de restaurer avec l’argent public et dans quelle mesure les aides (formation, reconversion) aux travailleurs des secteurs très émetteurs ne devront pas être préférées à une aide sectorielle.
Par exemple, le secteur de l’aviation dispose d’exemptions dans l’Union européenne qui ne sont pas cohérentes avec les objectifs climatiques. À rebours de l’ensemble des secteurs émetteurs de l’UE soumis au marché européen du carbone (SEQE), l’aviation est le seul dont les émissions poursuivent leur hausse (+5 % en 2019, +26 % depuis 2012 alors que l’ensemble du SEQE a diminué ses émissions de 13 %). »

    • Le 31 mars, l’Autorité Environnementale pointe la contradiction entre développement de l‘aérien et objectifs climatiques :

« Il semble désormais (…) indispensable de mettre à l’agenda la question de la compatibilité du développement du trafic aérien avec les engagements environnementaux de la France dans plusieurs dossiers aéroportuaires qui seront présentés en 2020 (Marseille-Provence, terminal 4 de Roissy, Nantes-Atlantique, etc.) », affirment les membres de l’Autorité environnementale (Ae) dans leur rapport annuel, publié le 31 mars.
« La compatibilité du développement du transport aérien avec les engagements pris par la France n’est donc, dans ces cas, pas démontrée »
« Les perspectives de développement de chaque terminal sont toujours considérées comme une donnée d’entrée modélisée intangible, sans prise en considération des limites d’acceptabilité d’une telle croissance, que ce soit au regard des impacts sonores pour les riverains ou de l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre induites »

Aujourd’hui en France et Europe

    • soutiens massifs des Etats aux compagnies et plus globalement au secteur aérien dans son ensemble (sans contre-parties ou faibles contre-parties) :
        ◦ Injection de 7 mds d’euros pour soutenir Air France (4 Mds en prêts bancaires garanties par l’Etat à 90% et 3 Mds en prêts direct de l’État)
        ◦ Dans la foulée, AF annonce :
            ▪ plan de départ volontaire en première étape : « Certains personnels d’Air France sont probablement prêts à partir volontairement, si on leur donne la possibilité. La première étape consisterait donc à proposer des plans de départs volontaires »
            ▪ réouverture des lignes locales dès le 11 mai en commençant par Bordeaux, Brest et Montpellier. 2 villes qui sont très bien reliées en train (TGV ou LGV). Paris-Bordeaux, c’est 2h04 en TGV.

D’autres envisagent des pistes différentes, par exemple l’Angleterre :

    • Plan pour atteindre la neutralité carbone en 2050 : rapport Absolute Zero de UKFires, réalisé par plusieurs université pour le gouvernement anglais.

“There are no options for zero-emissions flight in the time available for action, so the industry faces a rapid contraction.”
“2020-2029 : All airports except Heathrow, Glasgow and Belfast close with transfers by rail before. 2030-2049 : All remaining airports close.”

Principales mesures du rapport Absolute Zero de UK Fires    • Le 27 février 2020, la Justice britannique retoque le dossier d’extension d’Heathrow au nom du climat afin qu’il montre sa compatibilité avec la politique de neutralité carbone prise lors de l’accord de Paris

Lord Justice Lindblom said: « The Paris agreement ought to have been taken into account by the secretary of state. The national planning statement was not produced as the law requires. »

    et le gouvernement ne fera pas appel :

The transport secretary, Grant Shapps, said: « Our manifesto makes clear any Heathrow expansion will be industry-led. Airport expansion is core to boosting global connectivity and levelling up across the UK. We also take seriously our commitment to the environment. »

Prof Corinne Le Quéré, at the University of East Anglia (et présidente du Haut Conseil pour le Climat en France), said:

« Government needs to put climate targets at the heart all big decisions, or risk missing their own net zero objectives with devastating consequences for climate and stability. I am relieved this is finally recognised in law. »

    • A ce jour, pas d’annonces du gouvernement anglais pour venir en aide aux entreprises du secteur aérien. L’Espagne est venue en soutien d’IAG (actionnaire de British Airways, Iberia et Vueling) mais pas l’Angleterre. Même chose côté Virgin Atlantic. cf. le « Airline Bailout Tracker » de T&Eversion au 30 avril 2020

    • Besoin de sauver les gens : que la force publique aide ou pas ou peu les compagnies aériennes, il va y avoir de la casse. Planifions, anticipons, aidons à la reconversion => #SavePeopleNotPlanes « sauvons les gens, pas les avions » !

D’autres investisseurs engagent des actions radicales :

    • Warren Buffett sells all stakes in US airlines

« The Oracle of Omaha (Warren Buffet) dumps airline stocks over their unsustainable business model… too many airplanes, too many superfluous return flights on same day that won’t come back after the crisis. »

2) L’impact climatique de l’aérien

Côté climat

    • Le transport aérien (et maritime) international ne figure pas dans l’accord de Paris et ce sont les organisations internationales (OACI pour l’aérien, OMI pour le maritime) qui doivent gérer leur propre limitation de l’impact de leurs secteurs.

    • L’impact de l’aviation est sous-estimé. Impact en émissions de GES et forçage radiatif : les NOx,O3, CH4, SO4 et H2O émis ont aussi des effets réchauffant complexes. La formation de traînées de condensation à haute altitudes (contrails) et les modifications des dynamiques des cirrus ont des effets importants. Au global, les effets “autres que le CO2” sont supérieurs au réchauffement dû au seul CO2. Ces différentes causes de réchauffement sont comptabilisées par les climatologues en additionnant leurs “forçages radiatifs”, qui est une mesure de “combien ça réchauffe”.

Ainsi lorsqu’on comptabilise uniquement le CO2 émis par l’aviation comme le fait la DGAC, on sous-estime au moins de moitié l’impact de l’aviation.
La DGAC communique sur le fait que “l’aviation civile représente environ 2 % des émissions mondiales de CO2”, omettant soigneusement de mentionner les effet autres que le CO2 et le fait que le GIEC dans son quatrième rapport a évalué que l’aviation était responsable de 4,9% du réchauffement en 2009.

De plus, la très forte croissance du secteur aérien a naturellement nettement augmenté ce chiffre depuis. L’impact actuel du transport aérien se situe donc actuellement entre 5 et 8% du réchauffement (forçage radiatif) mondial. C’est une valeur énorme si l’on garde en tête que seuls environ 10% des humains sont responsables de ces émissions. 90% d’humains qui ne sont jamais montés dans un avions sont les plus impactés par les conséquences du réchauffement.
    • L’aviation est en fait responsable de plus de 10 % des émissions françaises !

Part de l'aviation dans les émissions du transport en France

Impact du transport aérien sur le climat : pourquoi il faut refaire les calculs, Aurélien Bigo
      Dans ce contexte de « sous-estimation officielle », comment calculer le “vrai” chiffre ?
        ◦ Pour les émissions des avions, prendre le chiffre de la DGAC (Direction générale de l’aviation civile). Il est de 22,5 Mt CO2 en 2017, dont 5 pour les vols intérieurs y compris outre-mer et 17,5 pour les vols internationaux (en ne comptant que la moitié du trajet).
        ◦ Ajouter les émissions amont de CO2 liées à la production et à la distribution du kérosène (+20 %) et le forçage radiatif des autres gaz à effet de serre et des traînées de condensation/cirrus (+100 %) : 22,5 x 2,2 = 49,5 Mt CO2e.
        ◦ Rapporter ces émissions aux émissions françaises de gaz à effet de serre (GES), 473 Mt CO2e. pour l’année 2017 en incluant l’UTCATF et les vols internationaux. Résultat : 10,5 %.
MERCI à Eric Lombard de Rester sur Terre (Stay Grounded France) qui nous a transmis ce calcul et pour sa veille attentive sur le secteur !
    • C’est le mode de transport le plus émissif par kilomètre et par passager cf. le comparateur vis-à-vis des autres modes de transport de l’ADEME.
    • Compensation : « nous allons planter tellement d’arbres qu’ils vont absorber tout le CO2 émis par votre vol. » Réponse : il n’y a pas assez de terres disponibles pour cela. De plus, bloquer les terres des pays du Sud pour que les habitants du “Nord” continuent de voler est inacceptable (c’est la tendance actuelle). Enfin, si les arbres meurent d’une sécheresse ou d’un incendie en 2045 ou 2070, tout le carbone retournera dans l’atmosphère. La compensation est donc une tromperie qui vise à justifier de continuer d’émettre alors que nous devrions réduire drastiquement nos émissions.
      Plus de détails et d’arguments sur ce sujet l’excellent Rapport de Stay Grounded L’illusion de l’aviation verte.
      Voir aussi la tribune « Planter des arbres pour mieux polluer » de Sylvain Angerand
      ainsi que
      https://jancovici.com/changement-climatique/gaz-a-effet-de-serre-et-cycle-du-carbone/ne-suffit-il-pas-de-planter-des-arbres-pour-compenser-les-emissions/
      https://youmatter.world/fr/arbres-stocke-carbone-combien/
      https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/26/dans-la-jungle-de-la-compensation-carbone_6027280_3234.html

    • Jusqu’à la crise du coronavirus, le transport aérien est en très forte croissance, incompatible avec l’Accord de Paris cf. transenv
      Actuellement, l’usage du train diminue alors que la croissance de l’aérien est forte comme le rappelle l’INSEE.
      C’est l’exact opposé de ce qui est préconisé pour réduire les émissions de GES. Dans ces conditions il est absurde que l’Etat renfloue l’aviation et l’industrie automobile, sans plan de relance ambitieux de la SNCF !
    • La FNAUT  alerte sur le fait que le « plan de relance » actuel va aggraver cette situation. Non à l’austérité ferroviaire !

S’il est normal, en période de crise, que l’Etat aide les secteurs en difficulté, par exemple le transport aérien ou l’industrie automobile, il est incompréhensible que le transport ferroviaire soit exclu de son intervention. Pourquoi cette inégalité de traitement contraire à toute logique ?

« Penser l’avenir en termes de respect d’une trajectoire financière » : applique-t-on ce principe à l’avion et à la route ? Pourquoi réserver l’austérité au rail ? Pourquoi devrait-il seul supporter les conséquences du confinement ?

    • Du fait des subventions et des défiscalisations, prendre l’avion revient aujourd’hui moins cher que de prendre le train (FNAUT). C’est un usage contre productif de l’argent public qui devrait favoriser les moyens de transports les moins polluants.
    • Un partie des gens choisissent la destination de leur vacances en fonction du temps de trajet qu’ils sont prêts à consentir, par exemple 10h. Or 10h d’avion émet 1500 fois plus de CO2 que 10h de train ! cf. https://theconversation.com/impact-du-transport-aerien-sur-le-climat-pourquoi-il-faut-refaire-les-calculs-116534

Justice sociale

    • Inégalités d’accès et utilisation
        ◦ A l’échelle mondiale : 90% des gens ne prennent pas l’avion. Même le PDG de Boeing a annoncé que moins de 20 % des terriens ont déjà pris l’avion en 2017.
        ◦ A l’échelle française : seuls 36% des Français ont pris l’avion au cours des 12 derniers mois, que ce soit pour des raisons personnelles (35%) ou professionnelles (7%) selon cette enquête BVA. La moitié des déplacements par avion est le fait des 2 % de personnes dont les revenus sont  les  plus  élevés.
        ◦ En angleterre : « Just 1% of English residents are responsible for nearly a fifth of all flights abroad, according to previously unpublished statistics. » d’après le guardian

Voir cette étude de Nov. 2020 par Stefan Gössling et Andreas Humpe où il ressort que :

        ◦ En 2018, seule 11% de la population mondiale a utilisé l’aviation commerciale, et entre 2% et 4% pour un usage long courrier (international).

        ◦ Une minorité de 1% de ces usagers est responsable de 50% des émissions de CO2.

        ◦ L’utilisation de l’aviation privée peut contribuer jusqu’à 7500 t CO2 par an (quand on sait que l’empreinte carbone française est de env. 12 t CO2e/an/fr.).

    • Quels usages : une grande partie des vols sont non essentiels. Selon l’enquête de la DGAC en 2016, les motifs des déplacement en avion se répartissent ainsi :
        ◦ Loisirs/Tourisme : 49%,
        ◦ Professionnel : 28%,
        ◦ Autres (dont famille et visite à des amis) : 23%.

    • Inégalité dans la taxation
        ◦ le kérosène n’est pas du tout taxé en France contrairement aux carburants routiers. Si on appliquait le taux de l’aviation privée, un taux préférentiel, ce serait 3,6 milliards de rentrées supplémentaires selon le ministère des finances. En appliquant le même taux que celui de l’essence (et en incluant la TVA sur la TICPE), ce serait 7,2 milliards de rentrées fiscales selon le RAC ;
        ◦ pas de TVA sur les vols internationaux et DOM-TOM ;
        ◦ TVA à 10% sur les vols intérieurs ;
        ◦ subventions au secteur (500 millions).

    • Une minorité riche aux impacts majeurs

« The only way to decarbonize many of the most energy intensive goods and services fast enough is for wealthy people to change their behavior and consume less of them. »

This can be done with targeted taxation — for example, a tax on first-class flying, cruises and yachts, vacation packages, or other energy intensive luxury goods.

« The climate issue is framed by us high emitters — the politicians, business people, journalists, academics, » climate scientist Kevin Anderson told the BBC. « When we say there’s no appetite for higher taxes on flying, we mean we don’t want to fly less. »

Technologie

La DGAC et les lobbies de l’aérien tentent de promouvoir une “aviation verte” grâce au « progrès technologique » , c’est illusoire. Les principaux arguments mis en avant sont :
    • Efficacité énergétique : « Les progrès technologiques vont nous permettre de construire des avions qui consomment moins. »
      Réponse :  Les marges de progrès en efficacité énergétique des avions communiquées sont surestimées. L’essentiel de la baisse de la consommation par passager.km vient du fait qu’on utilise des avions de plus en plus gros, donc qu’on divise la consommation par plus de passagers. Cette tendance au gigantisme des avions ne pourra pas se prolonger. Il est vrai que les avions les plus récents consomment moins que les plus vieux modèles. Néanmoins le chiffre avancé de “25% de consommation” en moins concerne uniquement le comparatif du pire avion de la flotte avec le meilleur et ne constitue en rien un potentiel de progrès de l’ensemble de la flotte. Pour voler, un avion doit avancer vite, et dans l’air, cela consomme nécessairement beaucoup d’énergie (c’est de la physique : résistance en carré de la vitesse). Pas de miracle à attendre de ce côté là.
    • Agrocarburants : « Les avions voleront bientôt avec des biocarburants donc des énergies renouvelables ».
      Réponse : Ce serait possible et criminel. Vue la situation alimentaire actuelle et vues les difficultés prévues pour l’agriculture dans un monde à +2°C, les surfaces cultivées doivent servir à nourrir les populations (et/ou à stocker du carbone dans le sol en produisant du bois) mais certainement pas à faire voler des avions.
    • Avion électrique : problème de lois de la physique (limites densité énergie / masse des batteries). Les professionnels du secteur l’avouent aussi :

« Il y a deux paramètres qui influent sur la faisabilité des systèmes électriques. D’abord, la taille de l’avion (…) Et puis il y a la distance. Là, c’est la masse des batteries qui est très pénalisante. Je rappelle que les batteries électriques actuelles sont 60 fois plus lourdes que pour le kérosène. Sur une voiture, c’est acceptable, mais sur un avion, c’est très difficile à compenser » selon Stephane Cueille, Responsable Innovation du groupe Safran

« À court et moyen termes, en l’état actuel des technologies, **la propulsion 100 % électrique n’est pas envisageable pour les avions commerciaux de grande taille** car elle entraînerait un surpoids lié aux batteries et aux câblages. »

Extrait de https://www.safran-group.com/fr/media/lavion-plus-electrique-une-affaire-de-sauts-technologiques-20190125

    • Les propositions actuelles du secteur côté technologie est d’ajouter de la complexité à l’inutile : faire des taxis volants (voir le partenariat entre Airbus et la RATP)
    • Avion à hydrogène : production hydrogène émettrice, passage à l’échelle, stockage

Position Stay Grounded sur les carburant de synthèse produits à partir d’électricité :

Les carburants synthétiques fabriqués à partir d’électricité sont techniquement réalisables, mais il n’y a encore pratiquement pas d’infrastructure pour les produire. En outre, la conversion d’électricité en carburant est un processus très énergivore. En théorie, les carburants synthétiques pourraient être produits à partir de surplus d’électricité renouvelable et servir à la stocker en période de surproduction d’énergie éolienne ou solaire. Mais le problème est que nous sommes encore loin de produire suffisamment d’énergie renouvelable pour le transport terrestre, la production agricole ou le chauffage. Si tous les avions se mettaient à voler avec des e-carburants, cela consommerait plus que toute l’électricité renouvelable aujourd’hui disponible dans le monde, ne laissant rien aux autres secteurs. Pire encore, les effets climatiques hors CO2 des avions demeureraient – et ils représentent deux à trois fois leurs émissions de CO2.

Notre manifeste affirme que devant l’urgence qu’il y a à réduire les émissions de GES, il est trop risqué de parier sur des scénarios hasardeux tels que la généralisation des avions électriques. De plus, de tels paris détourneraient l’attention de la nécessité de réduire les émissions tout de suite. Même l’utilisation de combustibles synthétiques produits à partir d’électricité renouvelable serait néfaste sans de fortes garanties de soutenabilité et une réduction du trafic. Pour les prochaines décennies, un transport aérien décarboné ou à « croissance neutre en carbone » est donc illusoire.

3) Le rationnement individuel

Le Commissariat Général au Développement Durable a déjà défini un quota carbone par personne, mais sans application concrète :

CDD - Empreinte des Français 2018 vs 2050

commente ainsi ce graphique :

« Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a précisé, dans le cadre d’un rapport sur les effets d’un réchauffement de 1,5 °C publié en octobre 2018, la quantité cumulée de CO2 qu’il était encore possible d’émettre tout en ne dépassant pas 2 °C de réchauffement en 2100. En tenant compte de l’évolution de la population mondiale d’ici 2100 et en respectant une répartition strictement égalitaire de la quantité de CO2 qu’il resterait à émettre, le « budget » CO2 de chaque Terrien devrait être compris entre 1,6 t (hypothèse basse) et 2,8 t (hypothèse haute) de CO2 par an entre aujourd’hui et 2100, non comprises les émissions résiduelles des autres GES. L’empreinte des Français (graphique 1) dépasse largement ce niveau. Les dépassements actuels devront être compensés par d’importantes réductions futures. »

La neutralité carbone visée pour 2050 se traduit par un droit/budget de CO2e à émettre de 2 tonnes par an et par Français.
La SNBC (Stratégie Nationale Bas Carbone) du Gouvernement mentionne de ne pas émettre plus de 80 Mt de CO2e par an en 2050, soit environ 1,3 tonnes par citoyen·ne·s.

Un aller retour Paris-New-York (11 700 km) émet 1,8 t CO2e par passager,  dont 1 t CO2e liées au CO2, et 0,8 t CO2e liées au forçage radiatif (particules azotées, traînées de condensation, etc.). Hypothèse d’un gros avion de >220 passagers.
Par comparaison (toujours en émissions par passager) :
    • Un aller retour Paris-Madrid : 0,34 t CO2e (2 100 km), avec un avion de >220 passagers
    • Un aller-retour Nantes-Bordeaux : 0,2 t CO2e (900 km) avec un avion de 100 passagers
    • Un aller-retour en Australie : 5,1 t CO2e avec un avion de >220 passagers
    • Un tour du monde en avion, soit 40 000 km émet 6 à 7,5 t CO2e (source ADEME : 152 g CO2e/peq.km (passager équivalent au km) pour des vols long courrier avec trainées à 187 g CO2e/peq.km pour des voyages moyen courrier)
Source : base carbone et comparateur en ligne de l’ADEME

Comme le résume très bien cette vidéo, l’enjeu de l’utilisation de l’avion est un débat moral (en plus des contraintes des lois de la physique) :

 

4) D’autres propositions de limitation ou réactions à la situation actuelle dans ce secteur

« Ainsi, le respect du budget carbone alloué à l’aviation donne un quota carbone de 5 000 km, soit 2 500 aller / 2 500 retour par individu sur l’ensemble des 12 prochaines années. Un tel quota n’est évidemment pas pertinent puisqu’il empêche tout le monde de se déplacer à plus de 2 500 km de son domicile. On ne peut pas non plus simplement demander à chacun de réduire de 70 % ses déplacements puisque cela rendrait de-facto l’avion inaccessible à une part importante de la population tandis qu’une autre part pourrait continuer à en jouir, à un rythme certes moins élevé. »

« Le tableau suivant est un exemple de bloc de mesures types permettant, en les appliquant toutes, de réduire suffisamment nos émissions de GES pour s’inscrire dans une trajectoire compatible avec l’objectif de 1,5°C pour le secteur des transports en avion : »

        ◦ Interdiction de tout vol hors Europe non justifié (cf mesures suivantes) à partir de 2020.
        ◦ Autorisation de deux vols aller / retour long courrier par jeune de 18 à 30 ans,
        ◦ Instauration d’une loterie nationale distribuant 500 000 vols par an,
        ◦ Obligation de justifier de l’intérêt d’un déplacement professionnel.

Shift Project - Propositions pour l'avenir de l'aviation

« Le progrès technique ne peut, à lui seul, permettre la réduction des émissions de gaz à effet de serre du secteur aérien, indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique, et donc au maintien des conditions d’habitabilité de la Terre. Les efforts technologiques doivent être menés de concert avec des choix politiques et économiques en faveur d’une réduction globale du trafic. »

« Nous sommes convaincus que le ralentissement de cette industrie constitue une opportunité pour convertir une partie de notre savoir-faire et de nos chaînes de production vers les activités à même de porter la transition écologique, comme le ferroviaire ou l’efficacité énergétique. »

Préserver nos libertés : le choc des imaginaires

M. Le Maire déclarait, le 2 décembre dernier, « J’adore la voiture ! […] La voiture c’est la liberté ! » L’avion aussi, sans doute, ainsi que l’affirment chaque jour les publicités ?

Mais quelle liberté ? La liberté pour quelques-uns d’aller très vite, très loin, tout en détruisant les chances de vie digne pour tous ? Est-ce cela la liberté ? Le CNRS et Météo France nous rappellent que cette liberté là mène à des canicules à plus de 55°C en France en 2050. Gageons que M. Le Maire considère que sa famille sera « libre » de prendre l’avion pour « se libérer » de cette fournaise annoncée, contrairement à la majorité des gens qui devront la subir.

C’est d’ailleurs la déclaration des droits de l’homme qui le dit (article 4) : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Ainsi, le droit d’émettre plus de 10 t CO2e quand la préservation de condition de vie digne sur Terre nécessiterait que chaque humain émette moins de 2 t CO2e, ne peut en aucun cas être nommé liberté.

La liberté, c’est la possibilité pour tous de se nourrir, de travailler et de vivre dignement là où ils habitent sans avoir à se terrer pour survivre aux canicules. C’est la liberté de regarder ses enfants dans les yeux et de leur dire que l’on prend soin de leur futur, qu’ils auront une planète habitable. C’est la liberté de prendre son temps pour voyager lentement par des moyens décarbonés. C’est inventer un monde bas carbone qui ne ressemble pas au XXe siècle.

La liberté, c’est d’investir dans les moyens de transports du futur. Que pourrait-on faire avec 7 milliards pour financer le ferroviaire transcontinental et le transport maritime à la voile (voiliers nouvelle génération de type Neoline) ? Combien d’emplois durables créés ? Combien de CO2 évité ?

L’aviation est le mode de transport le plus polluant, le plus inégalitaire et le moins nécessaire. Il est donc légitime et nécessaire de commencer à le limiter pour préserver nos conditions de vie en respectant nos engagements sur le climat. L’enjeu climatique va bouleverser nos vies et l’équité est la clé de l’acceptation des changements à opérer.